Notre arrivée à Takayama, dans les Alpes Japonaises, après près de six heures de voyage en bus puis train, marque pour nous une page qui se tourne : on reprend ici le voyage tel qu’il était prévu.
J’avais réservé deux nuits dans un temple, et le moine qui nous accueille, Kaji, a aussi beaucoup échangé avec moi par mails (qu’il commence toujours par un très joli « Dear Camille-San »). Quand on passe le seuil de ce temple-hôtel qui est en plein dans la ville, on entre dans un autre monde. Tout est calme, apaisé, les sols sont recouverts de tatamis en paille de riz. On sonne la petite cloche pour prévenir qu’on est arrivés, et dès que le moine passe la porte et comprend qui on est, il nous prend dans ses bras avec beaucoup de compassion et d’empathie. On nous offre un thé glacé, on nous explique le fonctionnement du temple (office demain à 7h), on nous fait visiter les lieux : c’est majestueux ! et notre chambre donne directement sur la salle des cérémonies, c’est presqu’intimidant ! Futons au sol confortables (ils sont très forts en couettes ces Japonais !), très jolie salle de bain partagée, cuisine moderne pour se faire à manger, on sent qu’on va être bien ici.
On se fait un petit tour dans la ville pour découvrir les rues historiques, pleines de commerces très vivants, dans des vieilles maisons en bois noir de la période Edo (XVIIe siècle) qui étaient déjà à l’époque des échoppes de commerces, de restauration et de vendeurs de saké. Le contraste entre les plantes, éclatantes de vert, qui ornent les façades, et le bois qui les habille, de couleur noire, est magnifique. On s’achète des petites gourmandises à manger tout en déambulant dans cette fin de journée bien agréable. Stop lessives dans une laverie (au Japon la lessive est inclue dans la machine, trop bien), stop 7 Eleven pour le repas du soir et le pique-nique du lendemain, et on profite du temple. Ca sent bon la paille et l’encens, c’est un lieu vraiment ressourçant.
Je m’aventure vers le onsen du quartier, à quelques pâtés de maison, sous une fine pluie du soir, il est 21h : cette fois, c’est une plus grande structure, les comptoirs pour se laver font tout le tour des murs et le bassin d’eau chaude est au centre. On prend son petit banc et sa bassine, on s’assoit face au miroir, on a des tirettes façon tireuse à bière pour prendre de l’eau bouillante ou de l’eau froide et on fait son mélange, il y aussi des douchettes au-dessus. Les femmes se lavent longtemps et soigneusement, ça me fait penser au temps qu’elles passent dans les hammam marocains ! Je comprends qu’ici, ce sont vraiment les habitants du quartier qui fréquentent l’établissement, de tout âge, et que la toilette prime plus que le bain chaud qui suit. Elles mettent leur petite serviette de toilette trempée d’eau froide sur la tête, comme des bonnets de nonne, et s’immergent quelques minutes dans l’eau (très !) chaude. Une fillette me cherche du regard, elle a l’œil rieur, je sens bien que je l’intrigue. Certains corps sont décharnés, d’autres plus en rondeur, les petites poitrines prédominent (ici je me sens dans mon élément !), et ce qui est très agréable, c’est le naturel total avec lequel les corps passent inaperçus. Ce n’est même pas une question, c’est la norme, c’est comme ça. Aucune pudeur à avoir ici. On se sent vite tout simplement bien dans ce geste de la toilette du soir et la chaleur du onsen.
Le lendemain matin, nous avons deux rendez-vous importants, aux aurores ! La cérémonie du matin, de 7h à 7h40, puis la rencontre de Tomoa, une amie de Shin, qui doit nous remettre l’argent prêté par Shin pour nous permettre de poursuivre le voyage.
Peu de monde à la cérémonie, c’est très intimiste : le moine, deux jeunes apprentis, une dame du quartier, et nous !
Kaji nous explique en anglais comment les choses vont se dérouler, et nous invite à participer à « Shoko », une prière que l’on fait en se présentant les uns après les autres sur un coussin, en soupoudrant trois fois d’encens une pierre brûlante : une fois pour le monde, une fois pour sa famille, et une fois pour soi-même. On a aussi les paroles d’un shantra pour accompagner le moine, qui chantera en continu pendant les 40 minutes, c’est zen, ça « élève » ! Surtout, il conclut son office par un petit discours qui nous est adressé, où il explique que dans chaque mauvaise chose qui nous arrive, il faut regarder l’autre versant, l’autre « face de la pièce de monnaie », pour y chercher le bon et le positif, et que c’est cette façon de voir les choses qui permet de trouver stabilité, sécurité et confort intérieur pour soi-même et pour les siens. Il a longuement insisté, c’était très fort.
Malgré les chants et les coups sur les bols de bronze, les enfants dorment encore à poings fermés quand on part retrouver Tomoa !
Il est huit heures quand nous arrivons dans sa rue : elle vit à Tokyo mais ses parents sont originaires de Takayama : quelle surprise quand, après lui avoir passé un petit coup de fil pour lui dire que nous sommes dans la rue, on la voit émerger derrière les rideaux d’une de ces splendides maisons anciennes !
Nous sommes accueillis comme des rois par Tomoa et sa famille, qui eux aussi nous serrent spontanément dans leurs bras et nous font preuve d’emblée d’une grande amitié. Ils nous font visiter leur vieille maison, qui date elle aussi de la période Edo, c’est une pépite de charme restée dans son jus ! Le grand-père de Tomoa était obstétricien et travaillait dans une micro-clinique attenante au salon ! Tout est là encore, la réception de la secrétaire, la salle de consultation avec la table d’examen, les produits d’anesthésie, le vieux respirateur, la salle d’intervention avec le scialytique et les instruments dans une vitrine : c’est fou ! il y a de quoi faire un somptueux musée, on retrouve même des feuilles de consultation remplies et des anciennes photographies d’échographie ! Le reste de la maison est charmant, dans un dedans-dehors un peu bric-broc, je me régale ! C’est le « Douriez » (la maison de mes grands-parents) de Takayama ! On comprend qu’en hiver par contre, il y fait très froid et les parents de Tomoa vivent alors cloitrés dans leur cuisine ! Ils sont adorables, c’est comme si on se connaissait depuis longtemps, on perçoit tant d’affection envers nous, c’est un bonheur ! Ils nous offrent un petit déjeuner, et nous racontent Obon, cette fête où l’on reçoit les morts chez soi, qui dure depuis plusieurs jours : on décore les maisons, on sort les portraits, on prie dans son petit temple personnel, c’est vraiment très important.
Ils nous offrent des petites cuillères et fourchettes à thé, une tradition de Obon, et une carte postale qui représente la façade de leur maison, avec un mot magnifique, qui lui aussi reprend les éléments de cette philosophie bouddhiste qui encourage à chercher le meilleur dans le pire.
On a trouvé le meilleur : toutes ces belles rencontres, qui n’auraient jamais eu lieu sans ce vilain vol de sacoche dans un petit onsen du bout du monde… et ces gestes désintéressés qui peuvent nous paraître ahurissants vus de l’Europe : prêter de grosses sommes d’argent à des gens qu’on ne connait pas !
Avant de prendre notre bus pour aller visiter le village de Shirakawago (post à suivre !), on tombe par hasard sur le marché du matin, un marché à l’air libre le long des berges de la rivière, c’est très chouette, et Félix y trouve son graal (enfin son graal parmi les tous les autres graal) : un katana … (on avait de grosses polémiques sur ça, on a trouvé un bon compromis avec celui-là..)
En fin de journée, Pierre et moi faisons la balade des temples : on réussit à se perdre sur une colline, il fait très moite, et les cigales s’en donnent à cœur joie ! On retrouve enfin le chemin des temples dans la jolie lumière de fin de journée, celle que je préfère. On revient par les quartiers inconnus, ceux du quotidien, on achète des pommes et des tomates à un petit monsieur rigolo.
J’emmène Zoé avec moi cette fois au onsen, on se met nos serviettes sur la tête, une dame qui se lave à côté de moi tente la conversation dans quelques sommaires mots d’anglais, elle est radieuse de m’aborder comme ça, nue comme un ver et couverte de savon ! La discrétion et retenue des Japonaises semble doucement se lever dans l’intimité du onsen ! Zoé est ravie, tu parles, je me doutais que le coup des tireuses à bière, elle allait adorer : « maman, on pourrait pas inventer des onsen que pour les enfants ?? » me dit-elle alors qu’elle rêve de sauter en bombe au milieu du bassin !!! Il faut que je l’encourage sans cesse à rester discrète, à parler tout bas, à ne pas jouer dans l’eau ! (elle nous avait sorti au deuxième jour à Tokyo : « c’est pas pour être méchante, mais je trouve que les hommes ici, ils se ressemblent tous ! »)
En résumé, on a beaucoup aimé l’ambiance de Tayakama, cernée de montagnes couvertes de sapins, ses rues commerçantes et ses vieilles maisons Edo, ses temples, et surtout ces rencontres de gens qu’on gardera au fond de nos cœurs : on s’y serait vus y passer plus de temps !
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