Au royaume de Dindefelo
Ce matin le minibus affronte une piste bien difficile et chaotique pour rejoindre le village de Dindefelo: tout le monde ou presque a le mal de mer tellement nous sommes transbahutés de gauche à droite sur l’orange poussiéreux de cette zone sud du Sénégal oriental! Par ailleurs Basile a fini par choper la méchante trachéite de Zoé, il a de a fièvre depuis hier soir et se sent totalement vidé… ça promet! Dindefelo signifie « village au pied de la falaise », c’est un territoire peul, animiste et musulman, à la frontière de la Guinée Conakry, située juste derrière les montagnes; c’est aussi le lieu d’une réserve naturelle de chimpanzés, observés par l’association Jane Goodall, on bave de pouvoir y aller mais ça se prévoit un peu en avance et les enfants de moins de 15 ans ne sont pas acceptés; on n’a de toutes façons pas assez de temps dans les environs pour l’envisager, quelle meurtrissure!! Nous commençons par la visite du village, son adorable petite « place » du marché sous les arbres avec ses étalages si colorés et ses discussions endiablées de femmes aux boubous multicolores eux aussi, puis par l’école primaire: c’est la récréation, le directeur nous reçoit dans son bureau, on en apprend pas mal sur l’organisation de la scolarité au Sénégal: dès trois ans les enfants peuvent fréquenter « la case des tout petits », l’équivalent de l’école maternelle,v puis ils intègrent à 6 ans le « cours d’initiation », une année qui précède le CP. Suivent alors les niveaux année par année jusqu’au CM2 comme en France. Les enfants sont en moyenne 35 à 40 par classe, leurs enseignants ne sont pas tous originaires du village, nombreux sont ceux qui habitent très loin et viennent donc loger à l’année sur Dindefelo, ne repartant dans leur région natale qu’au moment des grandes vacances qui durent ici trois mois, le temps de la saison des pluies, le fameux hivernage. Les enfants vont à l’école de 8h à 13h puis de 15h à 17h, mais ont deux après midi libres dans la semaine, et le week end bien sûr. L’école est officiellement obligatoire jusque 16 ans, mais de nombreux enfants issus de villages reculés y renoncent car le chemin est trop loin pour rejoindre l’école … les enfants sont tous fous de nous voir et veulent nous serrer la main à chacun, on passe dans les classes, certains nous montrent leur lecture, c’est drôle les textes correspondent complètement à leur contexte, ça parle de « bélier » et de « sécheresse »… les enfants ont ici la chance d’avoir un puit dans la cour, ils peuvent donc s’abreuver à volonté, il fait déjà une chaleur terrible en cette fin de matinée.. On visite ensuite la case des tout petits, où les enfants sont encore plus excités et se battent pour nous approcher, ils veulent tous nous donner la main, c’est assez craquant… Les classes sont ridiculement nues et minuscules, quel mérite d’enseigner dans ces conditions à ces très jeunes générations …
Il est maintenant l’heure de la pause déjeuner, que nous prenons au campement villageois qui accueille les visiteurs : la nourriture est toujours aussi bonne mais consistante, et par ces chaleurs, on est vite repu! On a toujours bien du mal à venir au bout des quantités de riz gargantuesques qui nous sont servies à chaque fois…
Les estomacs remplis, il est temps de gagner à pied la fameuse cascade de Dindefelo, dont la fraîcheur nous appelle! Basile est resté dans le minibus toute la matinée, incapable de bouger, et il a fallu le porter pour rejoindre le lieu du repas, incapable de tout effort… Mais un bon Coca et quelques cuillères de riz forcées nous ont permis de passer le cap et de le requinquer un peu… Il ne se sent tout de même pas de monter à la cascade et reste avec Lili, elle-même pas très en forme, avec les villageois.
Au bout d’une demi heure de marche parmi les cailloux et sous les arbres, notre effort est récompensé : une très jolie cascade façon « douche et brumisation » ruisselle sur 80 mètres de hauteur, contre une paroi brune taillée en blocs parallélépipédiques très esthétique! A notre grande surprise, l’eau est glacée! Pas plus de 15 degrés, on se fait violence pour y rentrer, ça brûle les orteils, ça fouette les cuisses et ça coupe la respiration! Mais on garde la fraicheur dans le corps de longues minutes après la baignade, on ressent cette sensation de froid pour la première fois depuis le début de notre périple! Les chaleurs sont terribles, atteignent entre 37 et 42 d’après Assane notre chauffeur, et la soif ne nous quitte jamais.
On quitte ce coin privilégié de Dindefelo le coeur plein de bonheur, avec une très grande envie de revenir un jour pour les chimpanzés, petit sentiment d’inachevé!
Le retour est épique, la piste est à un moment bloquée par un tracteur sur un petit pont qui s’est planté dans le fossé et bloque complètement le passage! L’attroupement est rapide, chacun cherche une solution, on comprend rapidement qu’il n’y en aura pas et on envisage vite de terminer à pieds les 7 km qui nous séparent de Bandafassi. Mais Assane ne veut pas que nous marchions, il se fait un point d’honneur (et on comprendra après que ce serait même un déshonneur vis à vis de ses autres collègues si « les clients Toubab » se retrouvaient à pieds…) Dommage, on avait très envie de cette marche à pied sur la piste orange au coucher du soleil. Il nous trouve malgré tout un moyen très atypique de gagner notre campement : il négocie que nous puissions tous monter dans un « tout tout moto », on adore, quelle franche rigolade et quel super souvenir !
Les bons petits plats de Léontine nous attendent, on découvre ce soir son fonio, une céréale inconnue pour nous, bien plus fine qu’une semoule fine, c’est délicieux ! Mais on comprend vite que sa technique de cuisson est exceptionnelle, elle le cuit trois fois à la vapeur pour obtenir ce fondant inimitable… on discute de sa vie, son mari à Dakar avec ses quatre enfants, elle ici dans son village natal pour faire prospérer sa petite entreprise familiale, portée à bouts de bras depuis tant d’années, et dont elle peut être sacrément fière! C’est une Keita, les Keita sont toujours les chefs des villages bedik, et elle a l’âme d’un chef cette Léontine!