Ce matin nous attend notre première grande randonnée pour le lac de Song Kul, à 3020 mètres d’altitude : 275 km2, faisant de lui le 2e plus grand lac du Khirghizistan, mais l’un des moins profonds (15 mètres maximum), Song Kul est un joyau entouré de hautes montagnes : au nord la chaîne des Song-Köl (4000 mètres), au sud la chaîne des Moldo-Tau (3900 mètres). Dès la fin du printemps, la neige cède la place à de vastes étendues herbeuses, très convoitées des bergers nomades, en faisant l’un des centres majeurs de pâturage des éleveurs du pays.
Nous allons marcher pour la première fois de notre vie à ce genre d’altitude !
Nicolaï nous emmène au col de Kyzart pour le départ et nous rejoindra en voiture dans l’après-midi en contournant le lac par l’est, avec un beau détour de 300 km !
Nous arrivons dans un endroit enchanteur pour le départ, sous un beau ciel bleu : une petite rivière tumultueuse, une yourte, de la verdure, c’est digne d’un conte pour enfants. Notre guide pour la randonnée nous attend, mais il y a quiproquo : il a prévu trois chevaux, pensant que nous allions, comme la majorité, faire le parcours à cheval ! On lui explique donc qu’on va marcher, et qu’on fera la promenade à cheval le lendemain au bord du lac.
Norredine, 17 ans, est déjà guide équestre depuis trois ans, et vit au village de Kyzart. Nous commençons l’ascension, nous sommes à 2200 mètres, le souffle est court puis je trouve mon rythme. Les étendues sont magnifiques, on aperçoit une autre yourte au loin, des troupeaux de vaches et de chevaux. Toutes les 15 min Norredine nous demande « riding ? » ; on finit par céder pendant 30 minutes pour lui faire plaisir et tester malgré tout ces chevaux qui montent à nos côtés docilement depuis le début. On va l’avouer, je ne suis pas très à l’aise sur ces jolies bêtes, mais ce petit temps de pause est récupérateur pour les jambes et le souffle ! Toro et Boïca font partie des 10 chevaux de selle que gère déjà notre jeune guide. On repartira rapidement à pieds après la pause pique-nique. On continue de suivre le sentier des cavaliers nomades, pour parvenir au col de Tuz-Ashuu à 3230 mètres, avant de commencer la descente vers le lac, qui apparaît dans un beau bleu profond. La vue à l’horizon est fantastique, on aperçoit les camps de yourte dans les jaïloo (grandes étendues herbeuses khirghizes). Nous parvenons fatigués mais heureux sur notre camp vers 16h, après 5 heures de marche, 16.3 km, 1100 mètres de dénivelé positif et 320 mètres de dénivelé négatif ! En récompense, un petit goûter nous attend sous la yourte des repas : thé, pain et délicieuse confiture de framboises, que les mouches ne nous empêcheront pas de déguster ! Les couleurs sous la yourte sont chatoyantes, de bleu, de rouge, de turquoise et d’orange. La bouilloire trône en permanence sur le poêle, les tapis et boutis sur les bancs adoucissent l’assise. Dehors le camp est structuré en plusieurs yourtes d’invités: la yourte de la famille qui nous loge, une sorte de container bleu qui sert de grenier à stockage et de salle de douche, avec un petit meuble en bois avec miroir dehors pour le lavage des mains. Une petite table et des bancs adorables peints en bleu turquoise clair (couleur majeure de la culture slave, rappelant le ciel, qu’on retrouve partout sur les meubles, pourtours de fenêtres, portes) trônent sur l’herbe pour qui veut s’y poser. Les limites du camp sont faites de grosses pierres blanches, et les chevaux paissent sur la colline en amont, tandis que les chevaux de selles sont maintenus regroupés devant le camp. Notons tout de même deux cabanons en bois servant de toilettes, indispensables dans cette steppe dénudée de tout arbre ou buisson ! On plante la tente à côté de celle de Nicolaï qui nous a rejoints. Quel personnage ce Nicolaï ! Khirghize au phénotype russe, il semble l’archétype du mec bourrin : musique à fond dans la voiture, crachats par la fenêtre, amateur de tir au pistolet à compressions sur canettes vides de boissons énergisantes qu’il enfile les unes derrière les autres en conduisant, pratiquant le kick-boxing et nous montrant des photos de son pitbull sur son téléphone, on pourrait facilement craindre le personnage ! Il s’avère en fait rapidement être un homme très aidant dans notre parcours, très à l’écoute, prévenant, faisant tout pour nous satisfaire et favoriser au maximum un confort potentiel dans ces conditions où il est plutôt minimal, et deviendra rapidement pour nous un ange-gardien avec une belle complicité. Ne parlant aucun mot d’anglais ou de français, nos échanges se font en mimiques, bruitages, gestuelles, et nous apprenons rapidement plusieurs mots de russe : inattendu mais un vrai plus culturel finalement dans ce voyage !
Le vent se lève, et à 3000 mètres, il est rapidement froid ! Les lumières de fin de journée sont superbes sur ces étendues herbeuses, et nous jouons avec nos ombres s’étirant à l’infini. On se réfugie sous la yourte pour le repas du soir : légumes crus (classiques tomates concombres mais on n’ose pas y toucher pour l’instant !) et « borsh » : plat en sauce à base de chou et de pommes de terre, avec quelques petits morceaux de mouton.
A la nuit tombée, la lune est pleine et se reflète dans le lac, c’est superbe. Pas d’électricité bien sûr, Pierre manque aux WC de confondre ses billets d'argent avec les feuilles de papier toilette ( !) qu'il gardait précieusement dans les poches, et la famille de nomades qui nous reçoit propose un jeu nocturne dans l’herbe très sympa : appelé « archeneu » (en faisant rouler le « r »), il s’agit d’un jeu qu’on pourrait traduire par « l’os blanc au clair de lune ». Deux équipes s’affrontent : elles sont initialement alignées ensemble, accroupies sur le sol. Dans leur dos, un arbitre va placer dans le noir, dans l’herbe, un os de mouton. Au signal, tout le monde peut se retourner et doit courir à la recherche de l’objet : bien drôle et difficile bien sûr dans le noir ! Comme dit Pierre, « on se bat toute la journée pour éviter les bouses de vache et les crottins de cheval, et là on court allègrement dedans sans s’en rendre compte !! ». Le premier qui trouve l’os le brandit en criant le nom de son équipe et doit alors aller courir, en faisant des passes au besoin, pour aller le lover entre deux gros coussins qui servent de but, pouvant se faire intercepter à tout moment par les membres de l’équipe adverse. L’équipe qui remporte le plus grand nombre de points ( = os mis dans les coussins de son camp) a gagné : jeu génial dans le principe, mais moi, à 3000 mètres, je me retrouve incapable de fournir l’effort d’une course effrénée !!, qui plus est dans le noir, comme ça tu ne vois pas les phosphènes qui t’annoncent que tu es au bord du malaise lié à l’altitude !! En tous cas c’était très drôle, car en plus de trouver l’os dans le noir, s’ajoutait la difficulté d’identifier les membres de son équipe, aux visages encore inconnus une demi-heure plus tôt.
La nuit se passe plutôt bien au chaud dans les super sacs de couchage d’Elisabeth, Nicolaï nous a même prévus des matelas en mousse en plus de nos matelas autogonflants amenés de France ! Insomnie encore sur le décalage horaire mais pas de signe de mauvaise tolérance de l’altitude, on est quand même passé de 800 mètres à 3000 mètres en deux jours : ouf ! Ce matin Norredine nous attend dès 8h pour une ballade à cheval de deux heures le long du lac, sur la rive ouest : les lumières sont très jolies, les chevaux plus dociles que la veille, j’arrive à me détendre un peu ! On passe devant d’autres camps de yourte, on croise un jeune garçon de 11 ans à cheval également qui mène son troupeau de chevaux au galop : on échange quelques mots, il monte à cheval depuis ses 5 ans, alors que Norredine est en selle depuis ses 3 ans : ici on monte à cheval avant de savoir bien parler !!
De retour au camp, je vais voir les deux enfants cadets pour leur offrir des petits jouets : ils sont sous la yourte avec leur grand-mère au sourire et au regard très doux : un garçon de 7 ans, et une fillette de 11 ans, handicapée mentale, qui va rapidement s’attacher à nous, très touchante. Je ferais bien l’hypothèse d’un syndrome d’Angelman, elle en a les caractéristiques du langage et de la marche, mais bien sûr pas le phénotype blonde aux yeux clairs !!! Elle joue avec ses petits jouets dans la steppe, avec des cris de joie, me rappelant l’excitation des miens lorsqu’ils partent dans leurs jeux imaginaires . A midi il fait rapidement chaud, il n’y aucune ombre dans la steppe ! Nous avons « commandé » une douche : dès 8h le petit garçon a grimpé sur le toit du container pour remplir la cuve d’eau au tuyau d’arrosage, alors que la grand-mère mettait en route le feu : l’eau devrait être chaude en milieu d’après-midi !
En attendant Nicolaï nous emmène en pique-nique à une heure de route d’ici, au col de Kaimak-Ashuu à 3500 mètres pour une vue à couper le souffle ! Inoubliable ! Au retour, on perd une plaquette de frein !! Notre cher mécano ne s’en offusque pas, et commence ses réparations dans la steppe, une voiture viendra demain lui amener une plaquette neuve !!
La douche est salvatrice et bien chaude, à l’odeur du feu de bois, puis le ciel se couvre, nous marchons un petit temps mais une pluie fine nous force à revenir au camp ; le soleil réapparaît pour notre plus grand bonheur : un magnifique arc-en-ciel couronne le camp, le vent est tombé et nous jouissons d’un moment magique de fin d’après-midi sur la colline au milieu des chevaux ; un poulain trop mignon viendra nous chercher les caresses à plusieurs reprises ! Contemplation finale, instants divins : le temps est suspendu au lac Song-Kul…