Ile de Ré, île de nos coeurs
- chamcamille
- 21 avr.
- 7 min de lecture
Dernière mise à jour : 22 avr.


L’île de Ré est inscrite dans nos générations depuis bientôt 60 ans…
Eté 1968.
Pépé et Mémé Tison, alias Maurice et Gisèle, marchands de meubles dans le Nord, entendent parler de l’île de Ré par une amie commerçante.
On leur recommande le camping de Mr et Mme Poulet (ça ne s’invente pas!), au phare de Trousse-Chemise.
Maurice et Gisèle, attirés par la belle promesse d’une île sauvage de l’Atlantique, embarquent leurs cinq enfants et Françoise (notre Manou), toute jeune fiancée de 18 ans de leur ainé Jacques (Apy), avec leur caravane et leurs tentes.
A l’arrivée, le camping est plein. Mais Mr et Mme Poulet ouvrent à la famille Tison leur petit jardin autour du phare, édifice qui est allumé et éteint au grès des nuits par les propriétaires...
C’est là qu’a commencé l’envoûtement : Jacques et Françoise, jeunes mariés, y reviennent chaque été en camping.
Ils font découvrir leur île chérie aux trois cousins de Manou : d’abord Didier et sa femme Jocelyne à la Pentecôte 1973, qui tombent amoureux à leur tour, puis quelques temps plus tard c’est Willy et Jacky qui suivront leur frère avec femme et enfants sur l’île merveilleuse.
Voilà les cousins embarqués dans la folle aventure de l'île de Ré!
Chez les Tison, l’expédition se renouvelle chaque année dans les années 70 puis 80.
Leur progéniture s’agrandissant, on passe du camping à la location saisonnière.
Quatre enfants, deux voitures pleines à craquer, le Sillinger dans la remorque, les planches à voile, le bac à passer car le Pont n’existe pas encore.
La « Chiouse » est la maison du bonheur chaque été et aux vacances de Pâques, aux Portes en Ré, tout au bout de l’île, avec son accès à la plage au bout du jardin : mon Pierre m’en parle encore des étoiles plein les yeux.
C’est le temps des jeux interminables sur la plage avec les puces de sable, des levers nocturnes pour aller relever les lignes de fond sur le banc du Bûcheron, des journées de pêche en mer dans le Fier d’Ars, des manèges à St Martin.
Mais voilà que surgissent les drames familiaux, le destin vient bousculer les joies insouciantes...
Françoise n’a plus le coeur de gagner cette île qui contient tous ses souvenirs précieux de vacances en famille...
C’est alors que ses cousins l’encouragent à les rejoindre à Pâques sur le camping municipal des Portes en Ré, et ils ont bien fait de lui forcer la main : une nouvelle aventure commence, celle des cousinades qui sauvent la vie et apaisent les chagrins. On s’éloigne des chaudes journées d’été et du confort d’une maison en location, mais on gagne en chaleur familiale et on vit aux vents et en vélo.
En camping-car, en caravane, en tentes, les enfants devenus des ado y vivent leur meilleurs souvenirs de liberté : déambulation nocturne sur la plage et dans le village, premiers émois amoureux, cigarettes et bières, les cheveux poussent, les rigolades sous la douche ou sur la grève n’en finissent plus…
Et je découvre à mon tour cette île si ancrée dans l’histoire de la famille en l’an 2000, par de froides journées humides d’avril.
Mon amoureux rêve depuis longtemps de me montrer son île.
Je suis en deuxième année de médecine, avec un petit moral face à la montagne de travail acharné qui s’annonce encore devant moi.
La première nuit sous la tente est un sketch : l’eau dégouline en continu. C’est sûr, demain matin je quitte cette île maudite! Séb est hilare de me voir si rageuse, je suis ridicule à me débattre avec les piquets d'une tente que je veux replier.
Et puis j’ai fait la connaissance des cousins, des mamans, des papas, qui chacun à sa manière m’a transmis la chaleur qu’on n’avait pas dehors cette fois là.
Et je suis restée.
J’y ai appris le lâcher-prise : les « pastachoutes » sous la toile ruisselante, le vélo partout et tout le temps, la bonne humeur constante de la bande, les éclats de rire à n’en plus finir, les horizons maritimes et les crapauds des marais, le bruit des vagues la nuit et les ciels étoilés.
Mes révisions dans la caravane chauffée de Thérèse, sa bienveillance à toute épreuve pour me permettre de travailler...
Quelques années auparavant, c'est Manée qui recueillait dans la sienne les lycéens pour des cours de maths!
L’île de Ré.
Y amener Basile à trois mois, puis le faire dormir sous la tente à 14 mois : quel bienheureux dans sa gigoteuse, dans ce lit parapluie posé sur l’herbe, ses meilleures nuits de béatitude dans ce froid mordant de pleine lune!
Y amener Félix, sauvé de sa grande prématurité, et la fierté de le présenter à toute la smala.
Y amener Zoé, blondinette si coquette qui les fait tous craquer.
Les avoir eus chacun à leur tour endormis dans nos dos sur les sièges vélos, casques sur la tête, lunettes sur les yeux, et cou qui pend sur le côté.
Les avoir vus chacun à leur tour devenir autonomes en pédalage dans la sécurité du camping.
Les avoir vus chacun à leur tour maculés de taches de glaces au chocolat sur le port de St Martin ou au pied du Phare des Baleines.
L’île de Ré.
Le vent qui siffle dans nos oreilles sur les vélos.
Les journées quasi méditerranéennes, chauffés par le soleil, comme les journées de vent froid qui glace les corps.
Cette lumière sublime sur les murs des villages au coucher du jour.
Tantôt un débardeur, tantôt des gros pulls superposés, des vareuses, des cirés, des nus-pieds ou des bottes, casquette ou bonnet.
Des ciels noirs, des ciels gris, des ciels bleus, des ciels pourpres.
Nos joues rougies par le soleil et le froid.
Nos nez tout frais le matin après une nuit sous la tente.
Cette voie lactée qui nous embrasse après le dernier brossage de dent, la frontale en place, pour regagner le cocon de nos duvets.
Les ruelles des Portes, les volets verts, les roses trémières, les glycines qui explosent sur les barrières, les vélos balancés négligemment sur les murets brossés de blanc.
La paix des marais salants, les oiseaux qui picorent la surface au soleil couchant.
Pédaler comme des dératés pour attraper le crépuscule dans les marais, faire s’envoler les faisans dans les fourrés, et capter l’étincelle de magie de ce moment dans une paix absolue, ou l’avoir raté à deux minutes près!
Quatre générations. Et plusieurs de nos ainés qui ont rejoint les étoiles et continuent de veiller sur nos nuits fraîches.
C’est Jacky qui se promène pipe à la main, et casquette sur la tête, pour épier discrètement les jeunes en se délectant en silence de leurs idioties.
C’est le rire éclatant d’Hélène dans la porte du camping-car.
C’est Didier qui s’en va pêcher à la Patache, son chapeau du Bush australien vissé sur la caboche, et qu’on ne reverra que pour la soirée, parce que la pêche c’est sa passion absolue.
Jacques aussi est parti.
Il avait fait le choix d’une autre vie, laissant là sa famille hébétée, mais il avait continué à sa façon de vivre l’île de Ré.
Les années passent mais nous ne vous oublions pas, vous qui nous avez ouvert la voie.
L’ile de Ré.
La chaleur d’une fin de journée sur Trousse-Chemise, un nom aux airs de piraterie, le bonheur des pieds dans le sable et de l'odeur des pins.
Le fantasme de toutes ses maisons sublimes cachées derrière les murets aux courbes douces et blanches…
Le lavage des dents, le dernier pipi, le bonheur de la douche chaude (ou pas) au camping !
Les pigeons et les araignées dans les sanitaires, les cris des enfants qui résonnent, la corvée de vaisselle.
Le pain du matin tout frais déposé par nos jeunes et offert gracieusement chaque année par nos ainés : merci Willy pour cette idée de génie! Pour faire perdurer la tradition, nos ado mettent un point d'honneur à se lever à 8 heures pour partir en quête de la commande à la boulangerie et faire les facteurs avant que chacun s'éveille à son tour. Quelle fierté dans leurs yeux d'être investis de cette mission alimentaire!
Le bonheur de pédaler toute la journée, comme les enfants, et adorer faire le tour du camping à vélo pour le moindre prétexte : ramener de la vaisselle, chercher du linge, aller dire bonjour, "t'as de la mayo ??".
Les pistes cyclables à l’infini à travers les marais, le long des routes, dans la pinède.
La sortie à St Martin, la balade en âne, le manège, la baraque à frites, les boutiques, les glaces et les gaufres.
Le Bazar des Portes, le manège de la placette, le marché du matin, l’apéro du soir.
La liberté totale pour les enfants, pour les ado, pour les parents et pour les grands parents, on se refile les enfants au grès des humeurs des uns et des autres, et chacun trouve son petit moment à soi.
La rue des Tuches!
Séb et sa pêche aux seiches, ses palourdes, gratter les coques au banc du Bucheron.
Les bracelets des cousines, le shopping alléchant, les ragots qui alimentent infiniment les apéros.
Le sel de l’île , sur les tables et dans les marais.
Le phare des Baleines, la première sortie à vélo pour se mettre en jambes.
Le pont, puis l’heure de route qui nous emmène jusqu’au bout et qui nous dit que ça y est l’évasion commence vraiment.
Les parties de thèques hilarantes, les parties de foot endiablées.
La journée des anniversaires, barbecue géant et casquettes sur les têtes.
Des rituels immuables, qu’on a parfois envie de bousculer en vieillissant, et des premières fois qui surgissent même après 25 ans de pratique : première fois en mer avec Séb en cette belle matinée ensoleillée, découvrir la Patache dans la lumière parfaite du petit matin, sa douceur, sa paix, sa solitude: le lancer à la ligne, y croire pendant trois heures sans lâcher l’affaire, se laisser dériver, puis remonter, inlassablement…
Ma première fois en vélo des Portes jusque St Martin avec un détour par Loix, si authentique aussi ; un aller-retour de presque 50 kilomètres !!! Une journée entière sur la selle! Monter au clocher de St Martin, rouler sur les pavés de la ville haute.
C’est y profiter de ma belle-famille, et voir comment les cousins s’éclatent tous ensemble.
C'est le sable dans les fonds de poche avant de mettre la machine à laver en route une fois rentrés à la maison.
C’est la nouvelle génération qui réclame à son tour de revenir chaque année…
1968-2025 : quatre générations désormais contaminées à jamais par l’île de Ré!
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