Nous nous réveillons dans un matin brumeux et humide qui confère une allure très mystérieuse à la vallée de Tash Rabat… Une pluie de grêle s’abat sur les montagnes pendant le petit déjeuner (délicieux beignets tout chauds au sucre glace), compromettant nos projets du jour : nous devrions randonner pendant 3 heures jusqu’à la vallée d’Itchké… Nikolaï dort toujours et nous n’osons pas le réveiller, il a beaucoup donné côté route ces derniers jours, on imagine qu’il a besoin de récupérer. Lorsqu’il se lève (et nous en veut de ne pas être venus le secouer !), la pluie a cédé, mais il nous confirme que ça risque d’être difficile de nous rejoindre en voiture à la fin de la rando comme prévu à cause de l’humidité des jaïloo. On va donc commencer par aller visiter le fameux caravansérail de Tash Rabat, l’occasion d’une petite ballade à pieds, on a besoin de se défouler après la longue route d’hier. Le site est magique au milieu de cette lumière des montagnes, gardé par une vieille dame qui balaie patiemment les crottes de pigeon ! On est tout seuls pour se promener dans les cellules de ce sacré bâtiment de schiste, découvert sous la terre en 1983 seulement ; initialement on pensait qu’il s’agissait d’un caravansérail sur la Route de la Soie, mais des éléments architecturaux ont finalement permis aux archéologues de conclure à la présence d’un temple nestorien du Xe siècle, faisant également office de cachots pour les bandits. En effet, le bâtiment est trop dévié de la Route de la Soie, dans la montagne, pour pouvoir avoir réellement été un hôtel pour les caravanes. Nikolaï nous rejoint et nous explique comme il peut les fonctions des 31 cellules de l’édifice (en russe ! en russe !) : dans certaines il existe des trous dans le sol, recouverts de grilles, où les malfaiteurs étaient retenus à genoux. D’autres cellules sont explicitement des chambres pour le repos, dans la pièce centrale on comprend qu’il s’agissait d’une pièce pour la prière. On grimpe dehors sur la colline environnante pour une vue sublime du temple dans son environnement, on s’imagine dix siècles plus tôt…
Le soleil s’est levé, on se décide à aller quand même tenter de voir la vallée d’Itchké en voiture, et ça passe ! C’est un peu rageant car on se dit qu’on aurait pu faire la rando initialement prévue, mais la beauté de l’endroit nous fait vite oublier nos frustrations. Imaginez une grande vallée herbeuse où coule une rivière agitée, entourée de sommets, des troupeaux de chevaux… on assiste à un moment exceptionnel : un premier troupeau hennit, il sent venir en face un second troupeau, les deux troupeaux galopent alors l’un vers l’autre, puis galopent ensemble dans la même direction, totalement irréel ! Et pendant ce temps, trois aigles tournoient au-dessus de nous, nous adressant leurs cris sifflants qui résonnent dans les montagnes .. La nature est maîtresse de tout ici ! Nikolaï nous propose alors d’aller rouler vers At Bashi, dont les environs recèlent un autre site archéologique, celui de l’ancienne forteresse de Koshaï Kurgan. Nous arrivons en début d’après-midi sous un franc soleil sur les remparts bien abîmés de cette ancienne cité, les pluies successives font s’éroder à grande vitesse les vestiges de ces remparts ocres, qu’on parcourt à pieds tranquillement. Un petit musée adjacent, sur l’histoire des conquêtes khirghizes, des mythes et légendes de l’Asie Centrale et des arts traditionnels du pays, complète la visite. Les toilettes sont mémorables (cf photo), le gardien accepte volontiers de se faire photographier avec son beau kalpak, chapeau traditionnel khirgize en feutre de mouton. On va trouver une petite gargotte dans At Bashi pour manger (prix imbattable : 1.50 euros pour 7 mantys !), puis on refait la route à l’envers pour récupérer nos affaires dans le camp de yourtes de Tash Rabat ; puisqu’aucune yourte ne sera libérée, et pour nous éviter une seconde nuit en dortoir partagé, Nikolaï nous propose d’aller rouler vers la frontière chinoise voir le coucher du soleil sur le lac de Chatyr Kul (prononcer Chytir Kul), avant de rejoindre Naryn, la ville située à environ 130 km de là. Beaucoup de route en perspective mais l’opportunité de voir de nouveaux paysages. Il nous faut passer deux fois un « post » militaire khirgize : il faut sortir du véhicule pour aller montrer ses passeports, le vent est glacial, le militaire caricatural, c’est comme dans Tintin ! Gros col épais en fourrure verte, casquette , clope au bec, c’est digne des films sur la guerre froide ! Tout est comme au cinéma, ambiance soviet assurée !
On longe les montagnes de la frontière chinoise, on a avec nous les autorisations pour la franchir, qui étaient nécessaires pour la route Sud vers le lac de Köl Su (prononcer Kil Su), mais il est probable que nous ne pourrons pas la prendre et qu’il faudra passer par la route Nord : de fortes pluies ces derniers jours dans le sud du pays, que nous n’avons pas vécues, ont fait dangereusement monter le niveau des rivières, que nous ne pourrons pas traverser en 4X4 comme initialement prévu.
Ces sommets enneigés à 5000 mètres de moyenne sont impressionnants, sublimés par la lumière rose et dorée de la fin de journée, la Chine est tout près, le voyage immense ! Nous arrivons au coucher du soleil sur l’immense lac de Chatyr Kul, gelé une grande partie de l’année ; en été comme actuellement, il fait une pointe à 3 degrés ! Aucun poisson à ces températures ! Les horizons sont infinis, je m’amuse avec le drone, on est ici seuls au monde, c’est la liberté avec un grand L ! Mais la lumière baisse et le vent est de plus en plus froid, on se remet en route à la tombée de la nuit en direction de Naryn où nous arriverons vers 22h dans une chambre d’hôtes au nom prometteur : « the celest mountains » ! Chambre à la déco kitch, couverture en moumoute verte sur le couvercle des WC, mais salle de bain dans la chambre, un luxe franc pour la première fois du voyage ! Une vraie nuit récupératrice nous attend enfin!