Je n’avais pas conscience, avant de me pencher sur Tunis, que la Tunisie était en fait le berceau des civilisations antiques méditerranéennes les plus célèbres de l’Histoire : Carthage, Hannibal, Salammbô racontée plus tard par Flaubert… Vertigineux !
Nous y voilà donc!
Notre visite du Musée du Bardo (non, non, pas dédié à notre Brigitte nationale!) est un moment passionnant, nous voilà redevenues les élèves assidues et passionnées d’un cours d’Histoire dispensée par Aziza, attachée culturelle du musée.
Son sourire, les yeux soulignés de khôl, son timbre grave et légèrement éraillé et son débit impressionnant nous ont littéralement captivées!
Une déambulation de plus de deux heures face aux trésors du musée, qui héberge, tenez-vous bien, plus de 40% des mosaïques antiques mondiales !
Nous avons une chance particulière: je n’avais pas souvenir (ou plutôt je l’avais probablement mis de côté) que le Bardo avait été la cible d’une attaque terroriste le 18 mars 2015, juste après nos drames de Charlie Hebdo et quelques mois avant notre terrible assaut du Bataclan.
Vingt deux morts, de toutes nationalités, dont quatre Français, on ciblait encore la culture, et un symbole fort prôné par la nation tunisienne : le multi-culturalisme. En effet, le Bardo reflète la fantastique succession d’influences civilisationnelles et religieuses de la Méditerranée :
Et Tunis a longtemps gardé cette joyeuse mixité d’horizons…
C’est bien sûr la célèbre Carthage qui est fondée initialement : dès le XIIe siècle avant JC, des marins phéniciens visitent les côtes africaines et développent le troc avec les tribus libyennes qui occupaient alors toute la côte nord-africaine.
La ville devient en quelques siècles une capitale majeure de la Méditerranée, convoitée par l’empire romain, qui appelle les Puniques les habitants de Carthage, déjà habitués à échanger et à se mélanger avec toutes les cultures et les idées des civilisations du pourtour méditerranéen. C’est alors une république aristocratique fondée sur la richesse, influencée dès le IVe siècle avant JC par les Grecs de Sicile avec lesquels ils entretiennent une relation étroite.
Hannibal est le chef suprême de Carthage, réélu 22 fois, reconnu et admiré pour son intelligence militaire, qui faillit bien mettre un terme à l’empire romain lors de la 2e guerre punique, puisqu’il réussit à avancer sur Rome après avoir traversé l’Espagne, les Pyrénées puis les Alpes avec sa si célèbre armée d’éléphants, dont certains n’ont pas résisté au climat glacial des sommets… (on a adoré ce rappel historique!!)
C’est finalement Scipion (dit l’Africain, oui, oui, rappelez-vous les références dans Astérix!), un ambitieux général Romain, qui, en concluant alliance avec les Numides berbères, contraint Hannibal à regagner ses bases et à signer une paix désanvantageuse pour Carthage en 201 avant JC…
Les Romains n’en restent pas là et réduisent la ville en cendres lors de la 3e guerre punique, avant de l’ériger de nouveau en leur nom une centaine d’années plus tard.
Ce sont ensuite les Vandales (ces peuples barbares venus des contrées germaniques) qui envahissent la ville au IVe siècle après JC, avant de se faire eux-mêmes botter les fesses par les Byzantins (qui sont des Chrétiens d’Orient), pour une courte domination de moins de deux siècles. C’est finalement la conquête arabe du VIe siècle qui installe ses dernières influences, malgré des résistances berbères, avec la fondation de la ville de Kairouan, à deux heures de l’actuelle Tunis. Première ville arabe et musulmane d’Afrique du Nord, elle reste encore aujourd’hui un haut-lieu de pélerinage dans tout le Maghreb, notamment pour la fête de Mawlid que nous vivons lors de notre passage!
Cette frise historique est indispensable pour comprendre les multiples influences artistiques, culturelles et religieuses de Carthage et de la Tunisie au cours de l’Antiquité puis du Moyen-Age, et les explications de Aziza face aux différents degrés de finesse des mosaïques sont passionnantes (la palme de la plus petite mosaïque, 1 millimètre par 1 millimètre, splendide, revient alors aux Byzantins).
On est fascinées de comprendre que ces immenses tableaux, de sol, ou d’ornement mural, reflètent alors la succession de courants civilisationnels de représentations : des dieux grecs, des dieux romains, des scènes de vie quotidienne splendides, des natures mortes, puis des icônes chrétiennes, avant de laisser la place aux céramiques et zelliges arabes. C’est tellement beau. Et complètement épatant de réaliser que ces dessins incroyablement réalistes suscitent encore une admiration artistique face à une technique qui remonte à plusieurs siècles avant JC…
Aziza nous balade dans tout le musée, d’une sobriété très esthétique, qui met parfaitement en valeurs les trésors du Bardo.
On nous montre un trésor de milliers de pièces d’or retrouvées dans une jare, on nous promet la cuirasse de Hannibal enfant : on a ici un peu de mal à y croire mais qu’importe, le rêve tunisien nous transporte !
Etourdies par tout ce flot de culture historique, artistique et religieuse, c’est avec un plaisir immense qu’on se pose avec Aziza au café abrité dans l’arrière cour du musée, sous les arbres et le chant des oiseaux hébergés dans de majestueuses cages blanches au dessus de nos têtes. Un chat, puis deux, viennent langoureusement se frotter dans nos jambes avant de s’allonger à l’ombre des tables. Le thé à la menthe ou le café aromatisé à la fleur d'oranger sont savourés à l’ombre de midi, la tête encore emplie des mélodies de Salammbô, qu’il nous faudra lire ou relire!
Le lendemain, nous partons à l’assaut des ruines de Carthage, pour parfaire notre culture de l’Histoire antique tunisienne.
Le fameux train local TGM qui relie Tunis aux différents arrêts côtiers est en travaux depuis presque un an, on l’apprend en arrivant à la gare. Un bus est affrété à la place, et le trajet qui nous emmène vers Carthage est une petite tranche de vie bien rigolote, où les passagers ont vite fait d’entamer la conversation ! Ce petit monsieur qui nous explique qu’il a vécu huit ans dans le Pas de Calais dans les années 70, ou encore ces lycéens qui rêvent de venir en France pour leurs études : tous nous aident à nous repérer pour compter les stations car rien n’est indiqué, et chacun ponctue ses phrases d’un « Bienvenue » toujours très chaleureux.
Carthage est aujourd’hui une banlieue un peu cossue, où les ruines sont disséminées ça et là, entre les grandes routes bétonnées. Il y a très peu de monde en ce dimanche matin, donnant un petit air abandonné à ces sites pourtant si importants dans l’Histoire de la Méditerranée. Bien sûr les vestiges ne sont pas comparables à ceux que l’on peut voir en Grèce ou à Rome, et on a bien du mal à imaginer que ces collines balayées par le vent, aux airs de terrain vague, hébergeaient cette Carthage riche et florissante de l’Antiquité.
On commence par les thermes d’Antonin, dont les ruines datent de la période romaine, des édifices majestueux qui ont été détruits par les Vandales. Le site domine la Méditerranée, dans une tranquillité absolue, et on peut se promener dans ce qui était autrefois les sous-sols et les chaudières des thermes. Une petite vidéo rapidement téléchargée sur Internet nous permet de mieux visualiser la splendeur de ce que devaient être ces bâtiments dédiés aux loisirs et à l’hygiène.
On se perd ensuite sur le site, avant de comprendre comment rejoindre les Villas Romaines, une agréable surprise, avec quelques jolies colonnes et de belles mosaïques des péristyles, ces cours intérieures des riches villas romaines: nous sommes montées plus haut encore, sous les lourds nuages qui courent au dessus de la mer. Toutes seules dans ces vieilles pierres, on se permet quelques photos rigolotes…
On finit notre petite exploration archéologique par le théâtre antique, un peu trop reconstitué à notre goût, site de festivals, où il doit être en effet plus agréable d’être assis face à un spectacle que d’y passer en simple visiteur de vieilles pierres.
Carthage recèle encore d’autres sites, d’allure moins conservés, que nous avons choisi de shunter, car La Goulette et Sidi Bou Saïd nous attendent encore!
Mais on est heureuses d’avoir foulé le sol jadis dominé par Hannibal, dans cette cité autrefois si influente pour toutes les contrées de la Méditerranée…
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