Pour ce dernier jour sur Tahiti, on s’offre une journée au coeur de la jungle, accompagnés de Teuai, un guide polynésien extraordinaire.
Aucune route n’existe pour traverser Tahiti Nui: c'est une piste difficile, appelée « la Traversière », qui est praticable en 4X4 si les conditions météo le permettent. Et c’est une magnifique journée ensoleillée qui se présente à nous ce matin !
Nous sommes un convoi de deux véhicules, l’entrée se fait par la Vallée de la Papeeno, au nord est, longeant la rivière du même nom, puis on gagne, après de multiples arrêts explicatifs, le Fare Hape, pour la pause déjeuner et une baignade bien agréable, avant de reprendre la route qui monte au col. On atteint alors la caldeira du centre de l’île avant de redescendre vers le lac de Vaihiria et retrouver progressivement la côte ouest à Mataiea.
A bord avec nous, un couple de retraités venus voir leur fils gendarme installé ici depuis 3 ans, et un linguiste, expert en langues du Tchad et de la Nouvelle-Calédonie, chercheur français aux Etats-Unis, qui nous permettra d’avoir des discussions captivantes! (on apprendra ainsi qu’il existe 28 dialectes kanak contre 5 dialectes polynésiens!).
Teuai s’avère être un guide passionné et passionnant.
La progression en 4X4 dans cette nature sauvage et luxuriante devient une découverte culturelle qu’il ponctue d’arrêts pour aborder des thèmes très variés de la culture polynésienne.
Il nous aide à recentrer la Polynésie, située au coeur du triangle polynésien formé par la Nouvelle-Zélande à l’ouest (Te Ao Tea Roa), l’île de Pâques à l’est (Rapa Nui) et Hawaï au nord (Hava’i).
Les premières pauses sont consacrées à l’étude de la nature polynésienne : il nous raconte les noix de bancoule dont la coque est si dure qu’elle résonne comme de la pierre, qui se mangent comme nos noix communes, mais qui se brûlent aussi, permettant de produire une flamme de plusieurs heures; il nous explique le mape, un arbre qui produit des énormes châtaignes, qui se dégustent chaudes comme les marrons! (le fameux mape chaud qui trempouille dans des marmites de bord de route), il nous narre la confection du tapa, ce tissu polynésien à base d’écorce d’arbre à pain (alors que les kanak de Mélanésie utilisent des espèces de ficus), frappée jusqu’à obtenir cette douce étoffe qui permettait l’habillement d'autrefois; il nous fait rire avec la coco qu'il devait raper tous les jours pour nourrir les poules (hum, le goût que devait avoir ce poulet!), il nous parle des anguilles, animal sacré de Polynésie, toujours signe d’un bon niveau de santé de la rivière, mais dont les yeux bleus ne traduisent que la cataracte des spécimens les plus âgés (une anguille peut vivre jusque 80 ans!).
Teuai nous plonge aussi au coeur de problématiques sociales et culturelles essentielles, avec la disparition progressive des connaissances de leur histoire par les Polynésiens, qui continuent d’apprendre en classe l’histoire de France, et non celle de leurs origines! Il nous sensibilise à la douloureuse époque coloniale, à la christianisation qui a fait brûler la majorité des objets et statuettes polynésiennes, seuls les Marquisiens ayant réussi à préserver un peu de leur patrimoine culturel.
Il nous explique le Heiva, il nous raconte les marae cachés au fond de la vallée pour échapper aux vagues catholiques, même si aujourd’hui 99% de la population reste croyante, à majorité protestante!
La pause déjeuner se fait au fare Hapé, un centre culturel au milieu des pics montagneux, où une petite baignade dans une cascade vivifiante est la bienvenue!
On fait des essais gastronomiques : pain de coco, manioc gélifié à la coco, crêpes de bananes, c’est très bon!
On continue d’évoluer dans un décor de dingue, cerné de vertigineux murs végétaux d’où dégringolent de toutes parts des centaines de cascades, qui chantent dans le paysage.
La vue au niveau du col, sur la partie ouest de la vallée, avec le lac en contrebas puis l’ouverture sur la mer, est époustouflante.
On pourrait continuer indéfiniment d’écouter Teuai nous raconter encore et encore l’histoire de ses ancêtres: son visage s'illumine, son sourire transcende ses tatouages, ses yeux brillent de fierté, et nous, on boit ses paroles.
Il nous explique la tradition d’adoption du premier né par les grands-parents qui permet une meilleure transmission de l’histoire familiale, il nous enseigne les connaissances sur la pratique du tatouage et leur signification, qui opère comme un livre d’histoire sur le corps de cette population qui n’a traditionnellement qu’une transmission orale transgénérationnelle. Le tatouage est donc essentiel, c'est ici l'album photo de la famille, lourds de symboles et de sens, qui se complète au fur et à mesure que l'on avance en âge.
Il nous parle de la danse, de la mer, de la pluie, du soleil, des étoiles, des arc-en-ciel.
Et partout autour de nous, cette nature omniprésente, puissante, dominatrice, créatrice, en décor de fond.
Teuai nous a rappelé à un peu de sagesse : notre mère nature a besoin de nous, respectons-là, sauvons-là.
Quelle épopée fantastique au coeur de l'histoire de la Polynésie et des Polynésiens!
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