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La terre a tremblé à Lifou


Lifou, 19 novembre, 20h : on est tous attablés dehors, sur la terrasse, chez Coco et Nico, les amis qui nous accueillent comme des rois sur leur île d’adoption depuis 9 mois. Soudain, la porte qui donne sur la cuisine se met à trembler de façon rythmique dans le chambranle, et le sol vibre sous nos pieds. 1 seconde, 2 secondes, 3 secondes, Nico lève le doigt et dit « tremblement de terre ! », on réalise à peine, 8 secondes, et hop c’est terminé. On se regarde tous incrédules ! C’était quoi cette sensation inédite ??? C’est la faille du Vanuatu, située à 70 km au sud de Maré soit 150 km de Lifou, qui fait parler d’elle… Les discussions vont bon train, on parle alors du risque de tsunami pour l’île, des consignes de ralliement en cas d’alerte (l’île n’a pour le moment connu que des exercices que la population n’a pas toujours tendance à prendre au sérieux), de où rouler pour gagner le point le plus haut de l’île (et pas très haut d’ailleurs sur cette île bien plate !)… La soirée se termine dans la bonne humeur, mais on part se coucher avec une petite pointe d’angoisse. La fameuse réplique : viendra ? viendra pas ? On dort à l’hôtel de Wé, dans de charmants petits bungalows très confortables posés sur le sable, bercés par le bruit des vagues qui se cassent dans un beau fracas régulier. On relit les consignes de sécurité de l’hôtel : sonnerie une fois = séisme, sonnerie 3 fois = alerte tsunami : sortir de l’hôtel, prendre la voiture et gagner en moins de 8 minutes le point le plus haut de l’île situé tout près de nous…

Le sommeil n’est pas tranquille. Je suis réveillée quand, à 2h, la porte de la salle de bain se met à trembler rythmiquement dans le chambranle, et je comprends cette fois aussitôt : les pieds du lit tremblent aussi, on est doucement secoué, cette sensation étrange qui vient des profondeurs de la terre : 1, 2, 3 secondes, être sûr que ça va s’arrêter, 15 secondes c’est fini. Soupir de soulagement. Mais la mer ? On reste en alerte sur le bruit des vagues, pas plus calme, pas plus fort… impossible de se rendormir, et si l’hôtel n’était pas prévenu ? et si les scientifiques n’étaient pas sur leurs écrans cette nuit ? La nuit amplifie vraiment les angoisses. Vers 3h, Pierre me dit que ça a recommencé de façon très courte, entre rêve et sommeil je ne suis pas sûre de l’avoir perçu, et rebelote à 3h30. Puis on s’endort vraiment.

Le lendemain matin on se raconte tous les émotions, les garçons ne se sont jamais réveillés, les uns ont le sentiment d’un tremblement beaucoup plus fort que dans la soirée, pour moi c’est plutôt plus long mais pas plus intense, peut-être le phénomène était-il amplifié en sensations parce qu’on était à l’intérieur cette fois ? Les informations confirment : 6,4 sur l’échelle de Richter sur la faille à 150 km de Lifou à 20h, 6,6 à 2h, puis 2 toutes petites répliques à 3h et 3h30. Mais plus rien ne semble annoncé. On part donc plutôt confiants pour notre exploration des grottes de Qanono. Justine, notre guide kanak, à qui appartiennent les grottes situées sur ses terres, nous explique que, comme dans l’eau, on ne ressent pas les vibrations lorsque l’on est sous terre pendant ce genre de secousses… Mais on part persuadés que l'épisode est terminé. On fait « la coutume » à l’entrée, on est donc protégés.

Mais quelle surprise en ressortant après 3h de notre magique exploration : l’une des amies présentes avec nous, dont le mari est gendarme à Lifou, a 9 appels sur son portable. On commence à s’inquiéter, on accélère le pas, le réseau passe à nouveau, et on nous explique qu’un autre tremblement a eu lieu vers 9h45 (absolument rien senti pour nous !), suivi d’une vraie alerte au tsunami une demi-heure plus tard, suite à l’observation de mouvements anormaux sur la mer, s’étant légèrement retirée. Nous comprenons vite que l’alerte est désormais levée, mais l’angoisse monte pour nos parents restés avec les petits, qui, en plus de gérer le stress pour eux-mêmes, ont dû s’inquiéter pour nous. Quel soulagement de tous se retrouver, et que de choses à raconter. L’alerte n’a pas sonné dans toute l’île comme ça aurait du avoir lieu, mais c’est le passage de l’hélico de la gendarmerie puis les sirènes de pompiers qui ont alerté nos parents, déjà bien secoués (c’est le cas de le dire) par cette énième réplique survenue un peu plus tôt. Ils étaient chez nos amis pour garder Félix et Zoé avec leur petit dernier de un an qui venait d’être posé pour la sieste. L’hôtel en contrebas leur confirme les choses ; c’est une vraie alerte au tsunami, il faut évacuer les côtes et gagner le plus rapidement possible le point de ralliement. Hop ! les enfants sont pris sous le bras, sacs à mains, passeports, clés de la camionnette et les voilà rapidement au point de ralliement, où ils sympathisent rapidement avec « Colette » et « Suzanne », des kanaks, qui vivent elles aussi avec angoisse leur première alerte tsunami, habituées aux exercices fréquents mais souvent peu considérés par la population. Cette fois, le tremblement de terre à répétition a mis la population en alerte et elle a joué le jeu. En sécurité, mes parents se voient proposer un partage de la natte au sol, une tasse de thé, et même des croque’ monsieurs !!! On parle de la culture, « j’avais vu que vous alliez être des blancs sympas ! » leur dit-on ! Deux heures ensemble d’une formidable solidarité, au sol, dans la terre avec les poules, les chats et les chiens, et la Zozo, qui rapidement très cracra dans cet élément (l’état du doudou..) a encore une fois montré ses formidables capacités d’intégration !!! Et voilà, face à la nature maîtresse de tout, face au danger qui menace, les seules valeurs humaines essentielles ont été prouvées avec humilité par nos amis kanak : réconfort, accueil et humour ! Mes parents sont sortis grandis de cette expérience étrange, autant emballés par leur rencontre intense avec les dames de Lifou, que nous avec celle des magiques grottes de Qanono. On a quand même tremblé dans tous les sens du terme pour ces 24 premières heures sur Lifou !




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